Développement durable et services publics

Evénement : Réunion-débat

Organisateur : Penser public

Date : 25 avril 2006

Thème : Développement durable et services publics

IntervenantJacques BrégeonDirecteur du Collège des hautes études de l’environnement et du développement durable (CHEE et DD), établissement préparant les dirigeants aux enjeux de l’environnement et du développement durable. Professeur à l’Ecole centrale de Paris où il y enseigne le développement

Penser public : Qu’est-ce que le développement durable ?

Jacques Brégeon : Le développement durable, c’est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (Mme Brundland – 1987). Mais au-delà de cette définition, ou plutôt de l’expression de cette finalité, il est tout d’abord indispensable de comprendre les enjeux du monde à venir. Il y en a trois principaux : le réchauffement climatique ; la fin de l’économie pétrole ; une croissance démographique non maîtrisée associée à un développement industriel énergivore.

Le réchauffement climatique est sans doute le plus grand de ces enjeux. L’augmentation moyenne de température a été de 1 degré en France sur les cent dernières années. Elle sera de 3 degrés supplémentaires dans les cent années à venir. De même, la teneur en CO2 de l’atmosphère, globalement stable depuis 1000 ans, et inférieure à 290 ppm depuis plus de 400.000 ans, augmentera de 50% environ dans les cent années à venir. Le problème qui se pose est que le CO2 lui ne se dégrade qu’au bout de 100 ans. A supposer que nous soyons capables de créer en 30 ou 40 ans un modèle de société sans émission de CO2, il est déjà trop tard. Le méthane, lui, ne met que 12 ans pour se dégrader mais ses effets en termes de production d’effet de serre sont 20 fois plus importants.

Ces effets s’ajoutent au fait que nous sommes actuellement au début d’une période « normale » de réchauffement qui va durer 20.000 ans. Ces réchauffements cumulés (celui d’origine naturelle et celui d’origine anthropique) auront pour conséquence la dilatation des masses océaniques (le phénomène a déjà commencé et on s’attend en France à une augmentation du niveau des océans de 80 cm en 100 ans) et la fonte des glaces marines (la banquise) et continentales (par ex, l’impact potentiel de la fonte des glaciers du seul Groenland est de + 7 mètres).

Bien entendu, les variations de températures ne seront pas uniformes sur la planète, même si la moyenne devrait être sur le siècle à venir de +3 à +5 degrés.

La fin de l’économie pétrole est un autre sujet d’inquiétude. La facture énergétique mondiale sera multipliée par 2 en 50 ans. A terme, le pétrole pourrait passer de 75 à 300 dollars le baril dans la mesure où l’augmentation actuelle de la consommation est largement supérieure au rythme de découverte de nouveaux gisements. La fin de l’économie pétrole est prévue pour 2040 et les grandes compagnies pétrolières préparent actuellement la reconversion de leur modèle économique. La fin de l’économie gaz est prévue pour 2050-2060.

Le relais du pétrole pourrait être pris par un recours accru au charbon, avec à la clé des conséquences négatives accrues en termes d’effets de serre. Les Etats-Unis possèdent actuellement 25% des réserves de charbon mondiales.

Le point positif est que l’accroissement du prix des énergies fossiles devrait rendre rentable le recours aux énergies renouvelables. Mais celles-ci ne pourront couvrir la totalité des besoins (sauf saut technologique par exemple en matière d’utilisation de l’énergie solaire) et il sera sans doute nécessaire de recourir à un « cocktail » des énergies disponibles).

Le troisième défi concerne la maîtrise des effets de la croissance démographique. La population mondiale est actuellement de 6,5 milliards. Elle s’élèvera à 9 milliards d’habitants en 2040/2050. L’Europe ne représente que 10 de la population mondiale, et n’en représentera plus que 7% en 2050 c’est-à-dire un poids très faible. C’est donc en Asie que les décisions importantes pour l’humanité se prennent pour les décennies prochaines. Au-delà, l’accroissement de la population va renforcer dans la période à venir les conflits d’accès aux ressources : l’énergie, mais aussi l’eau.

Penser public : Alors quelles solutions ?

Jacques Brégeon : Surmonter ces défis implique un changement radical du système économique. Le problème, c’est que la durée de mise en place des outils est trop longue. Entre les débuts de la prise de conscience internationale et le protocole de Kyoto, il s’est écoulé 25 ans. Et les décisions qui ont été prises ne représentent que 10 % des efforts qu’il faudrait faire en réalité.

Il faudrait surtout travailler à la mise en ouvre de solutions technologiques de développement qui soient moins traumatisantes pour l’environnement. La transformation accélérée du CO2 en carbonate de calcium est une piste. Le développement de l’utilisation « propre » du charbon en est une autre. De même, l’utilisation du flux solaire devrait davantage être étudiée, mais il existe peu d’efforts dans ce sens.

En France, le recours aux énergies renouvelables est faible. Le rapport de notre pays avec l’Allemagne sur ce plan est de 1 à 100. Il est de 1 à 40 avec l’Espagne. Notre pays souffre en matière de choix énergétique de l’existence d’une seule école de pensée qui fait converger toutes les solutions vers le nucléaire. Les nouveaux investissements vont aller vers ITER et non vers des recherches en matière d’énergies alternatives alors que les Chinois et les Américains par exemple ont des programmes de recherche importants dans ces domaines.

Par ailleurs, dans notre pays, les hommes politiques sont peu conscients des problèmes. Moins en tout cas que leurs compatriotes qui placent le réchauffement climatique au premier rang de leurs préoccupations, devant le chômage.

Penser public : Vous semblez faire une place moins importante à la nécessaire modification des comportements individuels et collectifs qu’aux changements dans la manière de produire l’énergie.

Jacques Brégeon : La transformation des comportements est essentielle. A titre d’exemple, l’énergie utilisée par les systèmes de veille des appareils électriques consomme en France l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire. La diminution de la consommation d’énergie engendrée par l’amélioration de l’isolation des habitations peut également être très substantielle.

Au-delà de tout le travail de sensibilisation à ces questions qui peut être réalisé, légiférer est indispensable pour modifier les comportements. La vertu de l’exemple est également essentielle. Le rôle des responsables et des décideurs du monde économique, administratif, politique et des directeurs de grandes écoles est crucial.

Les premiers acteurs à avoir réagi sont les patrons des très grandes entreprises engagées dans la concurrence internationale. Il y a pour elles un enjeu d’image très fort et des intérêts économiques à défendre.

Penser public : Les services publics ont par nature un rôle essentiel à jouer en matière de développement durable : ils sont à l’origine de nombreux projets concrets ou impliqués dans des démarches partenariales avec d’autres acteurs ; ils maillent le territoire de façon dense, qu’il s’agisse des collectivités locales, des services déconcentrés de l’Etat ou des organismes de protection sociale ; ils maîtrisent plusieurs outils essentiels capables d’influencer le comportement des acteurs (fiscalité, commande publique -15% du PIB, définition des normes, définition et application des sanctions). Ils sont aussi des acteurs directs, notamment par le biais des commandes publiques. Vous semblent-ils suffisamment engagés dans la démarche de développement durable ?

Jacques Brégeon : Les collectivités locales ont commencé à s’intéresser à la question et à mener quelques actions à partir des années 95/96. Concernant l’Etat, le démarrage a été beaucoup plus lent. La situation a un peu changé après le discours de Jacques Chirac à Johannesburg : création d’un Conseil national et d’un Comité interministériel du développement durable, désignation de « hauts fonctionnaires du développement durable », élaboration d’une stratégie de développement durable, etc. Cela dit, tout cela reste symbolique.

Le principal levier d’action de l’Etat en matière de développement durable, ce sont les préfets et on sent actuellement une volonté d’agir au sein du ministère de l’intérieur.

Je pense également que le ministère de l’environnement aurait gagné à être plutôt une agence placée auprès du Premier ministre de façon à avoir un poids politique important. Le Conseil national de l’évaluation, la DATAR, le plan, etc. auraient pu lui être rattachés.

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