Le développement des services publics à l’ère digitale est il compatible avec le maintien du principe d’égalité ? Le besoin croissant de services publics accessibles, répondant à des besoins pluriels, voire à des demandes exponentielles lorsque la conjoncture économique se dégrade (singulièrement dans les services publics de l’emploi ou de la sécurité sociale) rend la réponse à la question difficile.
Les difficultés rencontrées par les services publics sont de quatre natures :
- Un volume de demandes à traiter conséquent
- Une réglementation sophistiquée, parfois obscure et inintelligible
- Un besoin prégnant de réassurance et de « plus de service »
- Des besoins complexes des populations fragiles
Face à ces enjeux, et au vu de la décroissance des ressources, les services publics peuvent-ils remettre en cause le principe d’égalité afin d’offrir un service personnalisé à ceux qui en ont le plus besoin ?
Les services publics doivent assurer une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire. Ils ne peuvent sélectionner et a fortiori ignorer les besoins des populations les plus fragiles. Or pour ces populations (chômeurs de longue durée, personnes isolées sans ressource, bénéficiaires de minima sociaux, ou personnes en situation de rupture…) un service public de qualité passe par un traitement physique ou téléphonique personnalisé avec des agents experts du domaine concerné.
A titre d’exemple, le rapport de janvier 2011 de l’Inspection des Finances sur le service public de l’emploi montre que le nombre de demandeurs d’emploi gérés par agent reste en France trop élevé par rapport à l’Allemagne ou au Royaume Uni pour assurer un accompagnement de qualité : 71 ETP pour 10 000 chômeurs au sens du BIT consacrés à l’accompagnement, contre 113 au Royaume-Uni et 150 en Allemagne.
Quatre arguments plaident en faveur d’une évolution du principe d’égalité vers l’équité de traitement.
Premièrement, pour trouver des marges de manœuvre et réserver le canal physique à ceux qui en ont le plus besoin, il convient de faire basculer les dossiers les plus simples vers les canaux digitaux. Les services publics se sont lancés dans le développement du digital depuis plusieurs années : de la mise à disposition des informations sur les sites internet, à la télé-déclaration de l’impôt sur le revenu en ligne, la demande de retraite ou au suivi en temps réel du détail des remboursements de l’assurance maladie sur Ameli.fr, nombreuses sont les démarches administratives accessibles via internet. Cependant les téléservices ne répondent pas nécessairement aux besoins des cas complexes / publics éloignés du numérique. Les besoins de certains publics, la complexité de leur situation, leur fragilité justifient une différence de traitement et un accompagnement personnalisé
Deuxièmement, la digitalisation reste disparate selon les services, et demande parfois un vrai travail d’unification : la CAF parle ainsi du besoin d’un espace numérique unifié réunissant les différents services en ligne aujourd’hui traités indépendamment.
Troisièmement, un des défis majeurs pour les organismes publics est l’implication des usagers, via la co-création. Ainsi, de plus en plus d’organismes, proposent des évaluations pour mesurer la satisfaction de leurs bénéficiaires, allant jusqu’à co-construire les dispositifs personnalisés avec eux (logique du lab de Pole Emploi, de la CDC pour le compte personnel d’activité).
Quatrièmement, un enjeu important concerne la conciliation entre traitement d’une volumétrie très importante et logique d’accompagnement et de personnalisation. L’usager en tant que personne se place ainsi désormais au centre des logiques d’actions et donne lieu à un mouvement de refonte des processus tel que la fin de l’accueil sans rendez-vous.
C’est pourquoi les services publics à la pointe de la relation client insistent sur la nécessité de ne pas confondre égalité et équité de traitement : C’est le choix par exemple de Pole Emploi de proposer une offre complètement digitale pour les demandeurs d’emploi les moins éloignés du marché du travail, alors que les demandeurs d’emploi les plus éloignés font l’objet d’un accompagnement renforcé. C’est également la possibilité offerte désormais aux enseignants avec le numérique éducatif, qui permet de s’adapter à la diversité et aux besoins de chaque élève, et d’assurer un suivi plus individualisé.
Le secteur public doit donc aujourd’hui concentrer ses efforts en matière de relation client sur la création de lien et la personnalisation des réponses, notamment par les moyens suivants :
- La construction de cohérence entre les canaux de contacts et l’intégration de la présence numérique
- L’amélioration de l’accueil téléphonique, qui devrait combiner la rapidité de réponse permise par les outils digitaux et la personnalisation possible
- L’équité de traitement qui passe par la différenciation des services et un accompagnement renforcé des publics fragiles
- L’approfondissement d’une logique de co-création, via la systématisation des évaluations par les bénéficiaires et la co-construction de dispositifs personnalisés avec les usagers.