Les services publics : des créations sociales innovantes
En soi, les services publics sont des créations sociales innovantes. Ils n’ont pas toujours existé dans l’histoire. Ils se sont transformés en permanence dans leur périmètre et dans leurs modes de fonctionnement pour répondre aux attentes sociales des citoyens/usagers.
Aux services publics de type « régalien » (armée, police, justice, etc.) se sont ajoutés au fil du temps les services publics en charge de la régulation économique ou encore ceux issus de la création de l’Etat providence (protection sociale).
Non seulement ils n’ont pas toujours existé mais ils n’existent pas partout dans le monde de la même manière. Ici la distribution d’eau aux habitants est considérée comme service public tandis que là non.
Les services publics sont d’abord une mise en commun de ressources collectives pour rendre des services qui autrement n’existeraient, ou existeraient moins, ou existeraient mais sans le même contrôle démocratique. Ils ont donc pour vocation de créer de la valeur, une valeur collective.
Les défis actuels
Les évolutions actuelles (attentes des citoyens/usagers, bouleversements technologiques, contraintes budgétaires) conduisent à devoir repenser les bases sur lesquelles les services publics que nous connaissons ont été construits.
Concernant les usages, le consommateur est habitué à la simplicité d’utilisation des services en ligne développés dans la sphère privée (bien que de façon inégale) et s’attend à retrouver la même chose dans la sphère publique, mais il est aussi sensible à l’existence d’un service attentionné et humanisé lorsque c’est nécessaire.
Concernant le périmètre des services publics, si celui-ci est pour la plus grande part défini par les lois de la République, il n’est pas pour autant préservé de toute forme de concurrence. Le coup d’envoi a été donné il y a quelques années avec l’ouverture à la concurrence de l’acheminement du courrier ou de la distribution d’énergie. L’enseignement ou le placement des chômeurs, sont des services rendus aussi par d’autres opérateurs que l’Etat. Dans les années qui viennent, cette évolution va s’amplifier à mesure que l’information disponible sera devenue accessible à de nouveaux opérateurs qui souhaiteront entrer sur ces « marchés ».
Enfin, en matière budgétaire, il n’est pas nécessaire de développer longuement les contraintes qui pèsent sur les finances publiques. On en déduira seulement que c’est là un facteur qui pousse également à faire preuve d’imagination.
Innover ou disparaître
Pour continuer à exercer leurs missions et à créer la valeur attendue les services publics doivent placer la démarche d’innovation au cœur de leur fonctionnement.
Mettre en place des organisations et des manières d’agir qui permettent de rechercher de nouveaux problèmes et solutions, d’identifier les idées et concept permettant la production de services améliorés ou de nouveaux services « en rupture », qui conduiront à sélectionner et mener à leur terme les bons projets, tel est le défi à relever dans la sphère publique.
Certes, au cours des dernières années, les services publics se sont engagés dans ce mouvement d’innovation, mais ils l’ont fait de façon empirique et pas encore véritablement de façon consciente et organisée. Un nouveau cap est donc à franchir. Mais comment faire ? Dans ce domaine, la littérature est abondante. On insistera particulièrement sur deux points : la mise en place de « stratégies d’innovation » et la promotion d’un type de leadership différent.
Définir des stratégies d’innovation
On associe souvent l’innovation avec le plaisir de la créativité. En réalité, la démarche d’innovation est d’abord un travail de rigueur qui peut même s’avérer pénible car elle peut (doit ?) aller à l’encontre des pratiques et des croyances habituelles.
Pour pouvoir produire un maximum de résultats en termes de création de valeur, l’innovation doit s’inscrire dans une véritable stratégie en tant que telle.
« Une stratégie n’est rien de plus qu’un engagement envers un ensemble de politiques ou de comportements cohérents qui se renforcent mutuellement et qui sont destinés à atteindre un objectif compétitif précis. Les bonnes stratégies favorisent la cohérence entre divers groupes au sein d’une entreprise, clarifient les objectifs et les priorités et contribuent à centrer les efforts autour de ceux-ci » (Gary P. Pisano)
Le début de la démarche consiste à répondre à un certain nombre de questions : Comment les innovations créeront elles de la valeur pour les usagers ? Quels types d’innovations viser (innovation de routine, innovation de rupture) ? Comment, dans l’organisation, relier stratégie d’innovation et stratégie métier ? Comment arbitrer entre les solutions innovantes, entre les projets ? Quelle place laisser à l’expérimentation ?
Mais que serait une stratégie sans la qualité de sa mise en œuvre ? Sur ce point, les méthodes existent : identifier des bassins d’innovation, cibler quelques domaines de création de valeur, organiser de façon argumentée mais souple des « remontées » d’idées, structurer des équipes dédiées.
Pour un leadership différent
Conduire les services publics à s’organiser pour répondre à ces questions est d’abord une affaire de conviction des dirigeants dans la démarche.
Dans cette ambition qui consiste à faire passer les services publics d’un statut « d’organisations qui innovent empiriquement » à un statut « d’organisations qui placent l’innovation au cœur de leur fonctionnement », le rôle des dirigeants est déterminant.
Le leadership « classique » repose sur la communication d’une vision et la capacité à entraîner un collectif dans la réalisation de cette vision. Ce type de leadership n’est pas obsolète, mais il est surtout performant dans des univers où les solutions sont simples et connues.
Or, les organisations actuelles, et notamment les services publics, agissent dans des univers où les problèmes sont complexes et les solutions à élaborer car non connues à l’avance.
Ces tendances plaident donc en faveur de l’émergence d’un nouveau type de leadership. Les études sur les grands leaders de l’innovation ont mis en évidence certaines caractéristiques communes : la capacité à « préparer le terrain » pour que l’innovation se produise, la capacité à créer des communautés qui partagent une motivation et des règles d’engagement au service de l’innovation, la capacité à prendre des décisions « intégratives » sur les innovations à mettre en œuvre plutôt que de laisser triompher des compromis inefficients au final.