Concentration des organisations publiques et approche différenciée des publics

La concentration des organisations publiques est à l’œuvre depuis plusieurs années. Elle a été engendrée par des demandes et des contraintes fortes : la recherche d’égalité sur l’ensemble du territoire, l’exigence de productivité et d’efficience, la concurrence internationale.

Ce phénomène ne peut cependant être durable et viable que s’il se conjugue avec une prise en compte plus grande de la diversité des publics et de leurs attentes, c’est à dire avec la mise en œuvre d’une différenciation accrue des politiques et des services.

La concentration de plus en plus grande des organisations publiques…

La sphère économique privée est souvent le théâtre de rachats ou absorptions d’entreprises destinés à constituer de plus grands groupes, mieux susceptibles d’affronter la concurrence ou de dégager de plus grands profits. Même les « start-up », qui ont dans leur premier temps popularisé le « small is beautiful » et la croissance interne, se transforment après quelques années en des entreprises multinationales à taille parfois gigantesque, recourant aussi à la croissance externe.

Les organismes publics font aussi l’objet de ce phénomène de concentration et d’intégration. Citons quelques exemples :

  • La création de Pôle emploi qui regroupe depuis le 1er janvier 2009 l’ANPE et les Assédic
  • La création du Régime Social des Indépendants en 2006
  • La refonte de la cartographie administrative française (fusion des régions et débats récurrents sur la disparition des départements)
  • Le rapprochement gendarmerie/police en 2009

Ces rapprochements, fusions, concentrations, peuvent avoir différentes origines.

Ils peuvent correspondre à l’un des principes fondateurs du service public, son universalité. Ainsi, la création de la sécurité sociale en 1945, même si elle a abouti à la création d’un « régime général » et de régimes spéciaux, avait initialement pour ambition de couvrir par un seul régime l’ensemble de la population. La logique était celle d’une égalité de traitement de l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire, une égalité qui assurée par une unicité de structure de gestion de ce « traitement ».

Plus proche de nous, les regroupements obéissent aussi à des logiques d’économie d’échelle ou d’exigence renforcée de productivité ou de cohérence de l’action publique. C’est ce qui est recherché par les fusions ou la constitution de communauté de communes, la fusion d’organismes de sécurité sociale (par exemple, la fusion des Urssaf départementales en 22 Urssaf régionales entre 2009 et 2011) ou encore, dans le champ du « 1% logement », la disparition de la concurrence entre les différents collecteurs logement pour ne plus constituer qu’un seul groupe.

Enfin, des logiques d’investissement, de puissance économique et de concurrence au niveau européen ont milité pour la constitution des nouvelles régions administratives françaises, par la fusion d’anciennes régions, critiquées pour leur manque d’attractivité et de puissance dans l’action sur leur territoire.

Ces phénomènes de concentration de la sphère publique semblent donc répondre à des logiques fortes, desquelles il paraît difficile de s’extraire. Ils peuvent être consubstantiels à l’action publique, et sont encore renforcées par certaines exigences d’économie ou de plus grande efficience de l’action publique, demandes qui ne semblent pas devoir décroître à l’avenir.

… renforce l’exigence d’attention aux différents publics

Cette logique de concentration et d’intégration dans de plus grandes structures publiques n’a d’intérêt et ne peut être durable que si elle s’articule avec une attention plus soutenue aux publics visés, et avec une politique active et volontaire de différenciation des approches en fonction des ces publics.

En effet, la constitution d’organismes publics de taille plus importante engendre mécaniquement une diversification des publics touchés et des problématiques à gérer. Même sur une zone géographique « stable », comme l’Ile de France, qui n’a pas fait l’objet de reconfiguration récente, il existe des différences sensibles dans les caractéristiques des territoires et des citoyens ciblés par l’action publique. Quoi de commun entre des zones de forte pauvreté, comme en Seine St Denis, et d’autres de forte richesse, comme dans les Hauts de Seine ou à Paris ? Ces seules considérations économiques justifient des différences d’approche de l’action publique : politiques sociales, du logement, d’éducation, etc.

Dans ce contexte, le principe d’égalité de traitement, ne peut être le seul guide et doit, dans une perspective d’efficacité mais aussi de justice de l’action publique, être complété par la recherche de l’équité de traitement. Cette exigence a déjà été prise en compte dans différentes politiques publiques.

Il en est ainsi de la création des Agences Régionales de Santé qui ont bien eu pour objet de « régionaliser » la politique de santé publique française, en prenant acte de problématiques différentes d’une région à l’autre, et donc d’une politique différenciée à appliquer selon les territoires et les publics couverts.

Autre exemple, la position du nouveau Président de la République d’une intégration du Régime Social des Indépendants au sein du Régime général, a été affichée avec le souci du maintien d’un « guichet » permettant une attention particulière à un public, les artisans et commerçants, aux caractéristiques sensiblement différentes des salariés du régime général.

Il s’agit donc de faire en sorte que le phénomène de concentration des structures publiques soit conciliable avec une attention soutenue avec les publics ou territoires visés, c’est à dire la mise en oeuvre d’un « marketing public » qui permette la prise en charge efficace de publics aux attentes différentes. La nécessaire efficacité des politiques publiques, dans le contexte d’organismes ou de réseau d’organismes de plus grande taille ou couvrant de plus grands périmètres, suppose donc que soient possibles et même organisées ces politiques différenciées.

Défi organisationnel et managérial : pour des organisations publiques agiles

On touche là à une difficulté de gestion : comment des organismes de taille toujours plus importante peuvent-ils mettre en œuvre des politiques ou des procédures de traitement non plus uniques et monolithiques, mais à l’inverse toujours plus différenciées et « proches du terrain » ? C’est là un des défis qu’affrontent déjà actuellement les organisations publiques. A cet égard, le « modèle de gestion » le plus apte à le relever ne semble pas être celui d’une administration centrale toute puissante dotée de services déconcentrés aux moyens et procédures d’action totalement définis, mais bien plutôt de têtes de réseaux capable de développer un pilotage agile d’opérateurs plus locaux.

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